•  Souvent il y a la mer en arrière-plan, je ne sais pas pourquoi car nous n'avons jamais connu la mer ensemble, ni même jamais prévu d'y aller, mais il y a la mer en arrière-plan. C'est une mer grise et froide, il y a du vent, et le ciel est blanc, évidemment – comme si c'était seulement possible qu'il soit d'une autre couleur. Je le regarde et il me renvoie mon regard. Le regard est toujours le même, doux et brillant, toujours il se livre et pourtant toujours je crois qu'il recèle une énigme, peut-être parce que je n'ai jamais su l'épuiser. Parfois le regard s'accompagne d'un geste, toujours fugace, toujours plus vrai que nature, même après le réveil. Dans le rêve nous nous sommes croisés par hasard, et maintenant nous sommes là l'un à côté de l'autre, ou l'un face à l'autre, cela dépend des rêves, proches l'un de l'autre du moins. Il me regarde et ne dit rien, alors je lui pose les questions fatidiques. Est-ce qu'on sait que tu es là ? Ou sa variante : Qui est au courant que tu es là ? Parfois aussi : Est-ce que tu en as seulement le droit ? Ou bien : Est-ce encore un secret ? Plus déchirant : Es-tu venu seul ? (Et par là, j'entends : Es-tu seul ?)

     Pendant longtemps quand je faisais ces rêves je me demandais pourquoi la mer, pourquoi ce lieu qui n'avait été évoqué qu'une seule fois, au détour d'une conversation absolument insignifiante par ailleurs, à laquelle peut-être je n'aurais pas repensé si je n'avais pas rêvé de ces flots. Pourquoi un tel décor quand nous avions parlé avec passion de tant d'autres pays, que les retrouvailles auraient pu (et même auraient dû) être n'importe où ailleurs ? Mais un soir j'ai réalisé que ce détail en éclipsait un autre : mes rêves n'allaient jamais plus loin que les questions. La réponse à ces questions était toujours, comme tout le reste, pressentie, esquissée, jamais menée à terme (peut-être aussi parce que cela n'était pas possible). Dans cet endroit de solitude que la mer charriait derrière nous, nous étions incapables de résoudre le problème des frontières – géographiques, étatiques, éthiques, virtuelles.

     

    ***

     

     Nous sommes toujours à l'intérieur d'une maison où il fait chaud. C'est chez lui, toujours, pas toujours le même chez lui mais toujours chez lui, dans une chambre aux stores à moitié baissés, dans un salon à la lumière tamisée, près d'un feu de cheminée, dans un escalier. Nous sommes ensemble. Je ne le regarde pas. Je ne peux pas le regarder, en fait. Quelque chose cloche et je ne peux pas le regarder. Il me faut plusieurs minutes pour comprendre ce qui ne va pas : c'est que je ne devrais pas être là. Je n'ai aucune raison d'y être. Pire encore : lui ne le sait pas. Personne ne le sait en fait – car nous ne sommes pas seuls. Nous ne sommes pas seuls, mais je suis la seule à savoir. Dans mon rêve, problème de train, tempête de neige, contrainte familiale, peu importe mais nécessité fait loi, il n'est pas possible de repartir avant plusieurs jours. Il faut que je lui dise, le mensonge est insupportable, tout comme l'idée de devoir porter un rôle qui était pourtant mon identité vraie il n'y a pas si longtemps. Mais quand il me demande si tout va bien (évidemment, il se doute de quelque chose, il y a des impostures qui ne se dissimulent que mal), je ne peux pas lui répondre. Je réalise qu'il est impossible de lui dire la vérité, car alors ce serait insupportable pour lui aussi, plus que tout, et que je ne pourrais alors plus rester dans cet endroit que je donnerais tout pour quitter. La seule issue envisageable est de se taire jusqu'au moment ultime où le départ sera possible. À partir de là le rêve s'étiole : il n'est plus qu'étirement du temps de dérobades en dérobades, le masque à tenir mais le rôle à esquiver, et je n'arrive jamais à sa fin, bien sûr. L'indécence de devoir dire je te jure que je ne t'ai pas trahi, je suis partie avant, je pensais que tu savais, jamais sinon... m'est épargnée, à défaut de son anticipation angoissante. Seul le sursaut de réalité au réveil peut me sortir de cette situation, et me rappeler que je ne suis pas la seule à savoir, que tout le monde sait, que ça fait des mois.


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  •  La lumière du ciel trahissait le coucher du soleil derrière les nuages, et le blanc avait laissé place à un bleu céruléen, ou égyptien, je ne sais plus trop, peut-être quelque part entre les deux. Alors je me suis levée, j'ai enfilé mes couches de vêtements, mon bonnet et mon écharpe, et j'ai annoncé à la ronde : Je sors, je vais me balader. Et je suis partie, comme ça. (On m'a dit : ne rentre pas trop tard, quand même. Ils ne s'habituent jamais à ce que je sorte la nuit. Mais les mots ont glissé sur moi, et je suis partie, quand même.)

     Je suis sortie, j'ai pris à gauche, ça montait un peu, et j'ai marché, dans le silence de la neige et des lampadaires. Il faisait nuit, de plus en plus. La neige avait été tassée par la journée. Et puis il y avait la route qui n'en finissait pas. Un virage en épingle, un autre, parfois un croisement, mais ce n'était jamais compliqué de deviner où il fallait suivre le chemin si l'on voulait aller nulle part (et en revenir sans se perdre). Alors j'ai marché. La marche ça ne se questionne pas, on fait un pas, un autre, et tour à tour les choses n'ont plus d'importance : parfois c'est mon corps parce que je pense très fort, à plein de choses qui m'agitent, aux histoires imaginaires ou vécues et que je me raconte pour la quinzième fois peut-être, aux êtres qui me manquent, parfois à ceux qui ne me manquent pas, à tous ceux à qui je dois écrire, un message Discord, un mail, une lettre. Et puis il y a tout le reste du monde aussi, mes ébauches de pensées, tout ce que vous voudrez, je pourrais marcher des heures que je n'en épuiserais pas un centième. Parfois je remarque que sous l'effet d'une rêverie j'ai ralenti ; ou que la détermination de certaines pensées contamine mon pas, et que je marche à vive allure ; la plupart du temps je ne me rends compte de rien. Je marche, et je pense, surtout, dans ma tête ou à voix haute, dans une langue ou dans une autre. Parfois ce sont les pensées qui n'ont pas d'importance toutefois. Je suis tout à fait dans mon corps, dans le mouvement de mes hanches, j'adore sentir mes hanches, et les muscles de mes mollets, et mon sang, et la fraîcheur de la nuit sur ma peau, et mon souffle-vapeur dans l'air froid, et mes hanches et mes jambes encore et toujours, et il n'y a plus que ça, ce mouvement perpétuel qui m'anime et me fascine en même temps. Je marche et c'est un plaisir. Parfois c'est le monde qui n'a pas d'importance, parce que tout est en moi, les pensées, le corps, et que c'est si plein que je n'ai plus d'attention pour le reste ; parfois c'est moi qui n'ai plus d'importance, parce qu'au détour d'un virage, peut-être, ou d'un regard, quelque chose capte mon attention, et tout à coup le monde me saisit par sa beauté, ou par l'incongruité de ses détails. Alors je tais mes pensées et je regarde. J'oublie un peu que je regarde, tout ce que je sais c'est que je regarde. Parfois aussi je m'arrête, pour le plaisir d'un coup d'être immobile. Et puis je repars. Et ainsi pendant une heure ou deux, plus si je le peux et si je ne suis pas attendue. Je marche, et je marche, et je marche.

     Je marche dans la neige tassée, donc, elle me gratifie de son craquement feutré, et parfois de la chance de tracer mes pas dans la virginité de quelques bordures de chemin. Le froid fige l'air, et plus que jamais je pourrais croire que je suis seule au monde, si ce n'étaient, évidemment, les phares des voitures qui passent parfois anonymes dans la nuit.

     

     J'ai marché pendant des heures dans la neige et dans la nuit (dans la neige et dans la nuit, je répète ces mots mais c'est parce que je les aime, ils s'allitèrent l'un l'autre, l'un blanc et l'autre noir, l'alliance est harmonieuse). Et puis, au bout de la nuit... Pas au bout du chemin, évidemment, le chemin n'a pas de fin, ou tout du moins je ne l'ai jamais trouvée, peut-être parce que je ne l'ai jamais cherchée aussi. Au bout de la nuit, en vérité c'était encore le début de la soirée mais pour moi c'était au bout de la nuit, au bout de ma nuit de marche à moi tout du moins, au bout de la nuit il y avait un parking vide au bord de la route. Un parking vierge, comme un petit pré de neige fraîche. Quand on marche comme je marche, on n'a pas vraiment de destination, mais parfois on la trouve quand même, et alors on s'arrête – c'est le bout de la nuit, ou du matin si je suis partie le matin. Je me suis alors arrêtée, et je me suis assise directement dans la neige, pour regarder le pré. Et puis j'ai repensé à un moment quelques mois auparavant, où par défi j'avais été tremper mes pieds dans un lac quasi-gelé. Je l'avais fait l'espace de deux secondes, j'avais dit : Attends, prends-moi en photo, qu'on dise que je l'aie fait !, et puis j'avais attendu que l'appareil photo soit prêt pour plonger mes pieds. Au bout de deux secondes le froid avait commencé à mordre, j'avais dit : C'est bon ? Je peux sortir ?, et j'étais sortie, j'avais ri.

     Alors je me suis dit pourquoi pas. J'ai ri de moi-même, un peu. Et puis j'ai enlevé mes chaussures, doucement. Et j'ai enlevé mes chaussettes. J'ai retroussé mon pantalon, les pieds en l'air... Et puis je me suis levée, et j'ai fait quelques pas dans la neige, pieds nus. Au début la neige était douce sous mes pieds, elle avait une texture fraîche et accueillante. Au bout de quelques secondes néanmoins, comme prévu, le froid s'est mis à mordre. Il m'a saisie aux os, et ça a commencé à brûler de glace. Je le savais, je m'y attendais ; je m'étais dit qu'à ce moment-là, je n'aurais plus qu'à me rasseoir et remettre mes chaussettes et chaussures. Mais en fait, j'ai continué à faire quelques pas. Au bout de quelques pas le froid a cessé de crier dans mes pieds, ou bien j'ai réussi à comprendre que je pouvais entendre autre chose que son cri, je ne sais pas trop. Toujours est-il que j'ai continué à faire quelques pas dans la neige nue, prudemment tout de même. Je ne savais pas quand est-ce que ça deviendrait absolument insupportable... La morsure était toujours là malgré tout. Je crois que j'ai dû lâcher quelques mots qui ne se répètent pas. Et puis d'un coup, j'ai réalisé que l'insupportable ne viendrait peut-être pas. Alors j'ai couru dans la neige, et je me suis arrêtée, je suis repartie en marchant. J'ai ri. J'ai tracé des arabesques dans la neige avec mes pieds. J'ai marché lentement, et vite, peut-être même que j'ai couru à nouveau, je ne sais plus. J'ai été jusqu'à l'autre bout de mon parking, mon petit pré de neige, et puis j'ai fait des tours, toujours dans les chemins que mes pas n'avaient pas encore tracés. Le froid continuait d'être là, je ne sais pas si je m'y habituais vraiment, au fond j'avais toujours l'impression qu'il finirait par devenir insupportable. Mais la sensation était incroyable : je marchais pieds nus dans la neige. L'idée me paraissait absolument folle, mais pourtant elle était réelle ; je l'éprouvais jusque dans ma chair. C'était le cri du froid qui sonnait moins fort que mon rire. J'étais ivre de neige, ivre de cette neige que je traversais de mes pieds nus. (Eussé-je été loin de tout chemin et de toute civilisation, peut-être aurais-je ôté d'autres vêtements, pour me rouler nue dans la neige. Je ne l'étais pas, et de loin, nul ne pouvait voir que je n'avais plus de chaussures.) Au bout de quelques temps, je suis revenue au bord du parking, pour me rhabiller. Cela faisait plusieurs minutes que j'avais entamé mon délire, me disait ma montre.

     Mais... Mais je me suis assise et j'ai commencé à sécher mes pieds, et puis je me suis arrêtée. Et la neige, l'ivresse de sa sensation, m'a appelée, et j'y suis retournée. J'ai couru à nouveau, j'ai crié à nouveau mes mots qui ne se répètent pas parce que mes pieds redécouvraient la glace, en trente seconde ils avaient oublié que ça mordait si fort et que ça faisait tant crisser les os, et puis j'ai marché. J'ai tracé mille nouveaux chemins, des tours et des allers-retours, dans le parking. Je n'arrivais pas à me résigner à repartir. Au bout d'un moment, parce que le froid ne cesse pas et que je savais que je ne pourrais pas tenir éternellement, je suis revenue. J'ai essuyé mes pieds... Et puis je suis repartie. Je suis repartie, et j'ai marché, jusqu'à ne plus savoir où conduire mes pas entre tous les chemins déjà tracés. On ne s'y fait pas, à cette sensation de marcher pieds nus dans la neige. C'est absolument addictif. L'ivresse, le sentiment de puissance, aussi... Je me suis dit, purée, je marche pieds nus dans la neige, quoi. Et j'aime ça qui plus est – mais au-delà de l'idée en fait, c'est viscéral, vraiment, le plaisir est physique. À la fin le froid mordait toujours, ça faisait partie du plaisir, et je ne sentais plus rien de mes pieds, si ce n'étaient parfois des cailloux qui venaient m'écorcher la peau, mais ça m'était quasi-égal, tout m'était quasi-égal en dehors des pas que je conduisais dans la neige en fait. La neige, l'ivresse, la puissance... C'était dément, comme une transcendance, mais la transcendance elle te projette à l'extérieur de toi et là c'était tout à fait le contraire, j'étais projetée à l'intérieur de mon propre corps, parce que c'était comme si je ne l'avais jamais autant senti. Tous les possibles s'ouvraient à moi. Le bonheur total.

     Plus tard je me suis résignée à remettre mes chaussettes et mes chaussures pour de bon, j'avais les mains toutes engourdies et je ne savais plus tellement comment bouger mon corps à part pour marcher... J'ai repris la route en sens inverse, mes pas chaussés dans la neige tassée sous les lampadaires. J'ai marché, j'ai couru, tout était égal, et j'ai laissé derrière moi le parking de neige. Quand je suis rentrée, on m'a demandé si j'avais fait une bonne balade, on m'a dit que j'avais pris du temps. J'ai dit : je me suis un peu perdue à un moment, c'était presque vrai... Je n'ai rien dit de l'extase de mes pas nus dans la neige, j'ai juste dit que j'avais bien marché malgré tout, et puis après je me suis tue. Mais là-haut, sur un parking, il y avait encore toutes ces traces de pieds nus, les seules traces de ma chorégraphie, de mon moment d'absolu.


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  •  Le ciel est actuellement bleu, mais j'aime à croire qu'il est toujours noir et qu'il est juste facétieux. Parfois cette phrase me revient. (Nous ne nous étions pas parlé depuis plus de deux ans et demi, et il venait de surgir. Je lui avais demandé s'il avait mangé, le résultat de son test MBTI, comment il allait, pourquoi il surgissait, si je posais trop de questions, et surtout, surtout, la couleur du ciel. C'était sa réponse, pour la couleur du ciel.)

     Elle me revient, parce qu'elle fait écho à une pensée à laquelle je ne me suis toujours pas faite : en fait, le ciel est un menteur. On a beau avoir l'image du plafond bien lisse, et ses couleurs, et les nuages qui le parcourent, et les étoiles qui le parsèment, et même le soleil et la lune ; mais en fait, le ciel n'existe pas. Il n'y a pas de plafond – rien que les nuages, les étoiles, le soleil et la lune, et puis une atmosphère, mais pas de plafond, rien, vraiment. Fixer le ciel c'est poser son regard sur quelque chose qui nous échappe, sur un lieu qui n'existe pas, qui se perd entre nos yeux et l'infini. Le ciel en lui-même n'est pas quelque chose, ce n'est que du vide. Cette pensée me dépasse. Je regarde le ciel, et j'ai beau savoir que ce n'est que de l'atmosphère... Je ne peux pas le concevoir autrement qu'abstraitement. C'est insurmontable, ça ne colle pas avec toute cette immensité, cette présence, cette certitude.

     Le ciel est bleu chez moi aussi mais je me suis rendu compte il y a quelques mois que c'était un menteur : tu vois du bleu et tu crois que c'est une voûte, mais ce n'est rien... Mais dans ma tête, le ciel est de toutes les couleurs (tous les sentiments du monde, toutes les intuitions, les idées, les émotions, les sensations, les croyances aussi, tout ça à la fois), sans aucune distinction ni aucune signification. (Je lui avais répondu ça, et après je lui avais demandé si j'étais une illuminée, si j'avais toujours été comme ça. Il m'avait assuré que non ; mais parfois encore, des mois après, je me demande : le ciel n'est-il qu'un noir facétieux, ou bien un menteur où viennent danser les couleurs ?)


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  •  L'une des blagues récurrentes qui revient entre polyamoureux est celle qui consiste à se moquer gentiment des histoires de triangles amoureux, ou de toutes celles impliquant des adultères – parce que, vous savez, si le polyamour était banalisé, ce genre de problème serait significativement réduit. (Parenthèse, avant qu'on ne se méprenne sur mes propos : ce n'est pas vrai. La pratique du polyamour apporte son lot de travail relationnel, ce qui n'en fait pas une solution facile. Tout au plus, mais c'est ce qui compte, cela peut parfois prétendre au rang de solution logique ou éthique.)

     Mais il y a deux jours, alors que cette plaisanterie revenait à nouveau à propos d'une saga de films (que je ne nommerai pas pour le plaisir de vous laisser avoir plusieurs hypothèses en tête), un ami a fait remarquer que la banalisation du polyamour mettrait dans l'embarras bon nombre de scénaristes, qui seraient ainsi privés d'intrigues canoniques : le dilemme de cœur d'un côté, la rivalité amoureuse de l'autre, et tout le reste, l'infidélité, la jalousie. Il est vrai que dans un monde polyamoureux, ces plaisirs scénaristiques nous seraient enlevés. (En vérité, le polyamour ne supprime pas entièrement ces problèmes, et les remplace par d'autres, moins mélodramatiques, plus ennuyeux. On pourrait sans doute en faire une sitcom – mais une tragédie ?)

     La pensée m'a laissée songeuse, jusqu'à ce que je réalise que l'Histoire aussi nous avait petit à petit volé nos intrigues. Où sont passés ces histoires où les deux amoureux doivent se révolter contre les parents qui voudraient les marier ailleurs ? Où les pauvres serviteurs doivent se jouer des riches seigneurs pour espérer vivre ? Où l'honneur et la religion s'opposent au désir des cœurs sensibles ? Certaines de ces problématiques existent sous une autre forme, oui, ou encore dans d'autres lieux, mais l'évolution des mœurs les a rendues rocambolesques ou exotiques, d'un ailleurs géopolitique ou temporel. Les mariages arrangés ont laissé place aux héroïnes au cœur tiraillé entre deux êtres (probablement un gentil et un tourmenté, pour équilibrer la balance). Je suis loin d'être adepte du triangle amoureux, mais je ne nie pas qu'on puisse y voir une forme de progrès.

     Au fond, peut-être que le progrès consiste à supprimer les intrigues des histoires, les unes après les autres. Résoudre les grands problèmes de l'humanité, les uns après les autres : les hommes contre les dieux, les hommes contre la nature, les hommes contre les hommes, les combats d'honneur, les mariages arrangés, la lutte contre les tyrans... Les triangles amoureux. Les grands romans n'ont jamais porté que sur ce qui nous tourmentait, après tout. Et n'était-ce pas Aragon qui écrivait que les gens heureux n'ont pas d'histoire ? Le bonheur éthique ne se raconte pas. Il n'a pas même besoin de romans pour se consoler, il en a fini avec eux.


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  •  (Introduction to come – homemade translation of this article)

     

    1. What is the last time that you have been caught by the beauty of something (or just by the feeling of beauty)?

    2. What absence (of something, of someone) are you facing right now? How do you face it?

    3. If you could repaint the sky for one day, what would you do?

    4. What do you look at when you walk past a mirror?

    5. What is your sense of fidelity?

    6. What object, commonly considered unsightly, do you find particularly beautiful?

    7. What quality always touches you when you get to know someone?

    8. Do you prefer to live poetry-like or novel-like events? (Not sure of that translation)

    9. If you were a tree, which one would you be?

    10. What words do you like to pronounce?

    11. In what kind of frenzy (German: Rausch) would you like to indulge?

    12. If after your death you were offered the opportunity to watch the movie of the life of a person you knew, who would you choose?

    13. Which part of your body is particularly delicate?  

    14. You wake up in a night train. Where is it going and who will you be at the arrival?

    15. What state of mind or soul do you never share?

    16. What deserves to be taken in picture?

    17. What sensations do you love?

    18. When do you want the person you love (someone you love) to shut up?

    19. What insignificant thing moves you deeply?

    20. If your life were a novel, on what scene would it open?

    21. In which constellation would you like to dance?

    22. To whom would you like to offer a smile?

    23. What awakens a sense of faith in you?

    24. When the snow melts, where does the white go?

    25. Tell me about a person you don't know, or so little, but who you still feel close to.

    26. How far can you go back in time and still identify with who you were? 

    27. If you had to be represented, which art (or medium) would do the most justice to you?

    28. What are these moments when you feel the most like you are living in the present?

    29. If you could change the life of someone you know, who would you choose and what would you change?

    30. When was the last time you made the experience of the sensual?

    31. If you had to play a theater character, who would you choose?

    32. What are the recurring motives of your dreams?

    33. What is the first thing you look at when you see someone for the first time?

    34. What intimate thing would you agree to share with posterity? 

    35. Which city would you like to see at night?

    36. If you had to have one single point of attachment in your life, what would it be?

    37. What act of betrayal would you do without hesitation?

    38. What do you embrace when you wake up?
       
    39. What is the last idea that surprised you?

    40. Is there a feeling that you place above love? If so, what is it?

    41. What story would you like to tell the night tonight?

    42. Tell me about a place you've never been to.

    43. What do you confide more easily to a stranger than to someone you are close to?
       
    44. Of what colors are the souls who match yours?

    45. What photography touches you, regardless of your feelings for the object (or the landscape, or the being) it represents?

    46. What do you have to be able to do if you want to be up to love? (not sure of that translation)

    47. What awakens your senses?

    48. What do you dream of when you look out the window? 

    49. What do you always find beautiful?

    50. If you were a Shadok, what would you choose to put in the four boxes of your brain? (Here for the reference with the Shadoks (in French unfortunately)

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  •  Depuis quelques temps, j'essaye de parler un peu plus de beauté avec les gens. Je coupe les salutations, les Comment vas-tu ? (par ailleurs assez fréquemment remplacés par Comment te sens-tu ?) et les narrations factuelles, et je pose d'autres questions à la place, des questions intimes. Des questions sur la beauté du monde, sur les corps, sur les sensations, les émotions, sur ce qui touche les gens, sur ce qui leur donne de la foi, sur ce qui les rend vulnérables. Et sur la beauté, encore, je crois qu'on ne parle jamais assez de la beauté du monde, de toutes ces choses, parfois minuscules, qui nous bouleversent. Ne me dites pas ce que vous faites dans la vie, parlez-moi d'amour, parlez-moi de ce qui vous fait douter la nuit, des émotions qui vous traversent, de ce qui vous transcende. Et parlez-moi de ce que vous trouvez beau, encore, toujours. (Je crois que la beauté est au-dessus de tout, que c'est dans elle que réside tout sens possible. Je crois en la beauté, plus que tout. La vérité est un concept fragile, et le bien est trop intangible ; mais la beauté me paraît absolument insurmontable, indestructible.)

     

     Et puis, il y a quelques semaines, on m'a demandé de poser des questions, alors j'ai commencé à collecter ces questions-là qui font naître les conversations et à travers lesquelles j'ai l'impression d'apprendre à connaître les gens avec plus d'acuité, ou peut-être tout simplement de les rencontrer vraiment. Certaines ne sont pas de moi, mais m'ont été un jour posées par des êtres qui me sont chers – cela suffit à justifier l'emprunt, je crois.

     Voici donc 50 questions à poser ou auxquelles répondre*, pour vos nuits pensives (et autres) :

    * Et pour les gens qui circulent sur Ask, je peux aussi vous les envoyer directement, il suffit de demander ;)

     

    1. Quelle est la dernière fois que tu as été saisi(e) par la beauté de quelque chose (ou simplement par le sentiment de beauté) ?

    2. À quelle absence (de quelque chose, ou de quelqu'un) es-tu confronté(e) en ce moment ? Comment y fais-tu face ?

    3. Si tu pouvais repeindre le ciel pour un jour, que choisirais-tu de faire ?

    4. Que regardes-tu lorsque tu passes devant un miroir ?

    5. Quel sens as-tu de la fidélité ?

    6. Quel objet, communément considéré comme peu esthétique, trouves-tu particulièrement beau ?

    7. Quelle qualité te touche toujours quand tu apprends à connaître quelqu'un ?

    8. Préfères-tu vivre des événements poétiques ou romanesques ?

    9. Si tu étais un arbre, quel serait-il ? (Merci pour celle-ci, David.)

    10. Quels mots aimes-tu prononcer ?

    11. À quel genre d'ivresse voudrais-tu te livrer ?

    12. Si après ta mort on t'offrait la possibilité de regarder le film de la vie d'une personne que tu as connue, qui choisirais-tu ?

    13. Quelle partie de ton corps est particulièrement délicate ?

    14. Tu te réveilles dans un train de nuit. Où va-t-il et qui seras-tu à l'arrivée ?

    15. Quels états d'âme ne partages-tu jamais ?

    16. Qu'est-ce qui mérite d'être pris en photo ?

    17. Quelles sensations adores-tu ?

    18. Quand veux-tu que la personne que tu aimes (qu'une personne que tu aimes) se taise ?

    19. Quelle chose insignifiante te bouleverse ?

    20. Si ta vie était un roman, sur quelle scène s'ouvrirait-il ?

    21. Dans quelle constellation voudrais-tu danser ?

    22. À qui offrirais-tu un sourire ? (Merci pour celle-ci, mademoiselle Phesyle.)

    23. Qu'est-ce qui éveille un sentiment de foi chez toi ?

    24. Que devient la blancheur quand la neige a fondu ? (Merci pour celle-ci, David.)

    25. Parle-moi d'une personne que tu ne connais pas, ou si peu, mais dont tu te sens pourtant proche.

    26. Jusqu'à où peux-tu remonter dans le passé en continuant à t'identifier à la personne que tu étais ?

    27. Si l'on devait te représenter, quel art (ou medium) permettrait le plus de te rendre justice ?

    28. Quels sont les moments où tu as le plus l'impression de vivre l'instant présent ?

    29. Si tu pouvais modifier la vie de quelqu'un que tu connais, qui choisirais-tu et que modifierais-tu ?

    30. Quelle est la dernière fois que tu as fait l'expérience du sensuel ?

    31. Si tu devais incarner un personnage au théâtre, qui choisirais-tu ?

    32. Quels sont les motifs récurrents de tes rêves ?

    33. Que regardes-tu en premier chez une personne ?

    34. Quelle chose intime accepterais-tu de partager avec la postérité ?

    35. Quelle ville voudrais-tu voir de nuit ? (Merci pour celle-ci, mademoiselle Phesyle.)

    36. Si tu devais avoir un unique point d'attache dans ta vie, quel serait-il ?

    37. Quel acte de trahison ferais-tu sans hésiter ?

    38. Qu'embrasses-tu au réveil ?

    39. Quelle est la dernière idée qui t'a surpris(e) ?

    40. Y a-t-il un sentiment que tu places au-dessus de l'amour ? Si oui, quel est-il ?

    41. Quelle histoire raconter à la nuit ce soir ?

    42. Parle-moi d'un endroit où tu n'es jamais allé(e).

    43. Que confies-tu plus facilement à un inconnu qu'à un proche ?

    44. De quelles couleurs sont les âmes assorties à la tienne ?

    45. Quelle photo te touche, indépendamment de tes sentiments pour l'objet (ou le paysage, ou l'être) qu'elle représente ?

    46. Que faut-il être capable de faire pour être à la hauteur de l'amour ?

    47. Qu'est-ce qui éveille tes sens ?

    48. De quoi rêves-tu quand tu regardes par la fenêtre ?

    49. Que trouves-tu systématiquement beau ?

    50. Si tu étais un Shadok, que choisirais-tu de mettre dans les quatre cases de ton cerveau ? (Ici pour avoir la référence sur les Shadoks)

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  • Comme un rayon de soleil sur le mur de l'oisiveté.


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