•  Avant-hier, c'était l'anniversaire de P. qui fêtait ses 4 ans (je dis P. par souci de préserver son identité sur Internet, mais je sais qu'il y en a quelques-uns ici qui le connaissent et qui sauront de qui je parle).

     Conformément à son souhait, je l'ai emmené chez le fleuriste – P. adore les fleurs (il est capable d'en manger, c'est dire), et son rêve, c'est de devenir fleuriste plus tard. Là-bas, nous nous sommes promenés entre les rayons. Il a pris soin de poser son regard émerveillé sur chacun des végétaux présents, des bouquets composés aux plantes en pot, et il s'est même amusé à aller en renifler quelques-uns de plus près – le moins qu'on puisse dire à ce sujet, c'est qu'il a un grand nez doté d'un sacré odorat. Puis nous nous sommes décidés pour un gros bouquet de fleurs jaune vif (le jaune est sa couleur préférée, avec le vert amande), auxquelles la fleuriste a gentiment ajouté quelques fleurs blanches, et nous sommes repartis.

     

     Une fois que nous fûmes sortis du magasin, P. s'est mis à me raconter pour la énième fois qu'il voulait devenir fleuriste plus tard, qu'il aurait plein de fleurs partout chez lui et dans son magasin, et qu'il en aurait même tellement qu'il pourrait aussi en donner aux gens pour qu'ils les donnent aux gens qu'ils aiment – ou qu'ils les mangent, selon qu'ils soient humains ou herbivores je suppose. Il m'a dit qu'il y aurait des fleurs de toutes les formes, tailles et couleurs, et que son magasin serait ouvert jour et nuit, au cas où quelqu'un aurait un besoin urgent de fleurs – car il semble considérer les fleurs comme aussi vitales que les pompiers ou certains médicaments de pharmacies. Tu sais, les fleurs c'est joli et ça sent bon, et ça rend les gens heureux, alors c'est important !

     

     Puis il s'est tu et il a commencé à réfléchir sur les fleurs. (Je dois avouer que parfois, sa tendance à méditer silencieusement aussi longtemps m'étonne presque autant que les propos qui sortent de sa bouche quand il parle.) Après quelques minutes de silence, il a repris la parole :

    – Mais les fleurs, quand on les cueille, elles sont mortes après ?

    (À ce moment-là, j'ai eu besoin de réfléchir un peu pour déterminer à quel moment on pouvait considérer une fleur comme morte – et même si on pouvait considérer une fleur comme vivante. C'est moins évident que ça n'en a l'air, mais j'ai fini par décider qu'une fleur était encore vivante si elle pouvait absorber de l'eau dans un vase pour dépérir moins vite, en espérant ne pas faire honte aux spécialistes de biologie.)

     J'ai été obligée de concéder que les fleurs, une fois cueillies, étaient nécessairement destinées à mourir très vite, et que si toute fleur se fanait un jour ou l'autre, il fallait bien admettre que les cueillir accélérait le processus. Il n'a pas eu l'air d'apprécier du tout ma réponse, et il s'est remis à réfléchir en silence, cette fois-ci avec une petite mine inquiète – comment pouvait-il devenir fleuriste, si cela impliquait de tuer des fleurs ?

     

     Finalement, alors que nous étions presque arrivés à la maison, il m'a dit qu'il avait réfléchi, et qu'il avait trouvé une solution. C'était très mal de tuer des fleurs, même si elles étaient belles, et il ne pouvait pas faire ça avant qu'elles ne s'apprêtent à faner (parce que si quand on cueille une fleur, elle meurt trois jours après, eh bien si on sait qu'une fleur va faner dans trois jours, on sait qu'on peut la cueillir et que ça ne change rien non ? Les fleurs ça ne souffre pas, et puis au moins comme ça quand elles sont cueillies elles se baladent un peu...). Il avait donc résolu d'inventer une nouvelle façon de faire.

     Les gens viendraient chez lui commander des bouquets pour les gens qu'ils aiment, et lui, P., se chargeraient de planter exactement les fleurs qu'il faudrait devant la maison des gens en question, ou alors pas exactement devant leur maison mais sur un chemin qu'ils empruntent régulièrement. (Et puis si la personne veut un bouquet avec plusieurs fleurs différentes, il suffira de planter plusieurs graines différentes dans la terre, donc ça va, c'est facile à faire !) Comme ça, la personne à qui on voulait offrir le bouquet le découvrirait en sortant de chez elle le matin : à la différence près que ça ne serait pas un bouquet de fleurs mourantes, mais tout simplement des fleurs en train de pousser sous ses yeux. Tous les jours, elle pourrait admirer la progression des fleurs en se disant que ces fleurs ont été plantées rien que pour elle. Vers la fin, si elle le voulait, elle pourrait les cueillir pour en faire un bouquet, ou bien elle pourrait laisser les fleurs avec leur maman-branche. Mais dans tous les cas, P. n'aura pas tué de fleurs pour rendre les gens heureux, et les gens auront profité plus longtemps des fleurs ; et puis, ça permettrait aussi de faire profiter de ces fleurs à tout le monde, puisque n'importe qui passant dans la rue pourrait aussi les voir. Et tout le monde serait content.

     P. a réfléchi un peu, puis il a ajouté qu'il planterait aussi d'autres fleurs dans les espaces libres, gratuitement, pour que les éléphants, les vaches, les moutons et les autres herbivores qui passeraient par là puissent en profiter et les manger.

     

     Quand il m'a raconté ça, je l'ai regardé, et je me suis dit qu'au-delà des fleurs, il venait – une fois de plus – de m'offrir un monde dans lequel il serait formidable de vivre.


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  •  Aujourd'hui (ou plutôt hier, vu l'heure), en traversant un parc, je me suis rendu compte que c'était en fait parfaitement logique que l'herbe nous apparaisse comme plus verte ailleurs. Comme c'est quelque chose dont il me semble que les gens s'étonnent toujours, voici la petite explication :

     

     Il se trouve que les brins d'herbe poussent de façon inégale sur le sol, ce qui est facilement constatable quand on regarde l'herbe à ses pieds et qu'on distingue par morceaux la terre en-dessous.

     Mais il se trouve aussi que les brins d'herbe ont une hauteur non-négligeable (au moins quelques centimètres) ainsi qu'une surface moins fine qu'il n'y paraît (au moins quelques millimètres de large). Pour la vue, un brin d'herbe couvre donc beaucoup plus de terre que ce n'est en réalité le cas (puisque la superficie du brin d'herbe est très largement supérieure à l'aire de contact avec la terre).

     Cette illusion est accentuée par deux choses, à savoir le port de tête des brins d'herbe (ils sont légèrement penchés les uns sur les autres), et leur multitude (ils sont foule et foule). Par conséquent, de loin, et quand on regarde une surface de terre depuis un angle inférieur à 90° (qui est le seul angle nous permettant de voir exactement de quelle superficie de terre jaillissent les brins d'herbe), on a l'impression qu'il y a beaucoup plus de brins d'herbe qu'il n'y en a en fait.

     

     Donc, quand on regarde ailleurs, l'herbe nous semble plus verte, puisque la disposition des brins d'herbe fait qu'ils masquent les petits coins où la terre est nue. Tandis que quand on regarde là où on est, on est bien placés pour voir qu'il n'y a pas d'herbe partout dans notre coin à nous. Et c'est pour ça que l'herbe paraît toujours plus verte ailleurs que là où on pique-nique. Mais ça ne veut rien dire : c'est juste une question de mathématiques, de physique et d'optique.

     Alors, comme maintenant vous savez que c'est une illusion d'optique, il faut apprendre à ne pas vous en formaliser, et à vous asseoir au premier coin d'herbe que vous trouvez. De toute façon, si la terre vous gêne vraiment, vous pouvez toujours essayer de squatter le manteau de votre voisin.


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    Sous le grave orage

    Le bruissement de la pluie

    Et du pétrichor.

     

     


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  •  Cicatrice, balafre... Dans ma tête, ces traits blancs n'ont pas d'autre nom. Mais contrairement à ce qu'on pourrait croire, j'aime leur présence dans le ciel.

     

     

     

     PS : merci à Y.O.K.O. qui m'a aidée à choisir les bonnes photos grâce à ses conseils esthétiques, et merci à Mrs Robinson qui a contribué au choix final !

     


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  • « Comme ils ont inversé la droite et la gauche, 
    en Angleterre ils conduisent à l'envers par rapport à nous. » 


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  •  Longtemps, souvent, il m'est arrivé de commencer mes propos par Je ne sais pas quoi dire. Quand j'y repense, je m'effare en me disant que c'est peut-être même devenu un réflexe, cet aveu. Dire que je ne sais pas quoi dire, que je ne sais pas de quoi parler, que je ne sais pas comment le dire, que je ne sais pas par où commencer...

     Mais dire qu'on ne sait pas par où commencer, c'est aussi une bonne façon de commencer, en fait. C'est une bonne introduction. Ça m'épargne de trouver une bonne amorce, et puis ça détend l'atmosphère : ça fait sourire parce que les autres aussi, sans doute, se sont déjà retrouvés à ma place sans savoir trop comment commencer à parler, ils me comprennent. Il y a une forme de complicité qui se crée, parce que j'avoue ce qu'on n'ose pas toujours avouer.

     Je crois que quelque part, dans ma trajectoire personnelle, ça m'a aidée à gagner en éloquence, aussi. Ça justifie d'avance toutes mes maladresses. Une fois que j'ai avoué que je ne sais pas comment parler ni quoi dire, je peux parler en toute sérénité : mes interlocuteurs sont prévenus, de toute façon, alors je n'ai plus rien à perdre. Et puis, je suis libre de dire ce que je veux : comme j'ai déjà dit que je ne savais pas quoi dire, tout ce que je dis après se présente sous la forme d'hypothèses, de choses que j'aurais potentiellement pu choisir de dire si j'avais su quoi dire. Je suis dédouanée de mes propos s'ils s'avèrent ne pas être à la hauteur. C'est plus facile de parler, après avoir dit qu'on ne savait pas parler.

     

     Sauf que justement, c'est devenu la solution de facilité chez moi. C'est devenu la phrase d'introduction passe-partout que j'utilisais par réflexe, sans même vraiment me donner la peine d'y penser, qui n'avait même plus vraiment de justification.

     L'autre jour, je devais écrire une lettre, et dix fois, quinze fois, j'ai voulu écrire que je ne savais pas quoi écrire. C'est difficile, parfois, de savoir quoi dire, de savoir comment le dire, de savoir par où commencer. Ça fait partie du jeu de l'écriture. Mais à quoi bon écrire, si on n'assume pas ses propres mots ? Cela en vaut-il vraiment la peine, d'exposer ses doutes, si c'est pour fuir, si c'est pour s'abstenir de travailler sa pensée, si c'est pour faire perdre leur valeur à ses propos ? Je sais que non. Non, cette phrase n'en vaut pas la peine.

     Je devais écrire une lettre, et dix fois, quinze fois, j'ai écrit que je ne savais pas écrire. Dix fois, quinze fois, je me suis appliquée à rayer cette phrase. Parce que cette phrase, je ne veux plus l'écrire. Parce qu'écrire une lettre, c'est regarder quelqu'un droit dans les yeux, et que je ne peux pas me permettre d'avoir le regard fuyant, je ne peux pas me permettre de n'écrire qu'à moitié. Même si je ne sais pas quoi dire. Parce que je veux me confronter à mes difficultés, désormais, même si ça veut dire que je risque de me tromper. Parce que je veux pouvoir assumer de me tromper aussi, parce que je veux galérer, même si c'est pendant des heures. Parce que je veux avoir quelque chose d'entier et de solide à la fin, quelque chose qui ne balbutie pas. Parce que je veux écrire pour de bon.

     

     Et puis après tout, ne pas savoir quoi dire, c'est aussi se donner la possibilité de découvrir de nouvelles choses à dire.


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  •  Ce matin, à mi-chemin entre le rêve et l'éveil, ou peut-être entre l'éveil et le rêve, prise entre les deux de manière un peu confuse, et à moitié consciente de l'être (c'est propre à l'état), j'ai pensé que quelque part, l'enfance tenait un peu du rêve.

     Qu'on ne s'y méprenne pas : je ne suis pas en train de vanter l'utopie de l'enfance. Non, j'ai eu une enfance heureuse mais insignifiante comparée à ce que j'ai vécu ensuite, et contrairement à bon nombre de mes congénères, je ne regrette pas la primaire, parce que si c'était beaucoup plus facile que ne le sont le secondaire ou le supérieur, c'était aussi beaucoup moins enrichissant, beaucoup moins porté à l'émulation. (Oui, je suis élitiste et je crois au travail intellectuel, c'est ainsi.) Je ne crois pas que l'enfance soit spécifiquement merveilleuse. Idéalisée, en revanche, oui, elle l'est. Mais on oublie que moins de souci va aussi de pair avec moins de conscience, et  donc moins de conscience pour se rendre compte de son insouciance, nécessairement.

     

     Non, quand je dis que l'enfance tient un peu du rêve, je fais référence à cette confusion qui est commune aux deux. Dans les rêves, comme quand on est enfant (mais vraiment petit, évidemment), il n'y a plus de second degré, ou tout du moins plus de différence entre le premier et le second degré, tout se vaut à égalité, paroles, pensées, réel. Il n'y a plus d'écart entre ce qui est intérieur et extérieur, entre soi et le monde. Ce qui est pensé devient aussitôt aussi vrai que tout le reste, parce qu'à partir du moment où c'est formulé, alors c'est possible, alors c'est réel. Les choses n'ont plus besoin d'être cohérentes pour être crédibles, deux choses contradictoires peuvent désormais cohabiter sans la moindre contradiction. Quelque chose peut être à la fois vrai et faux sans que ça ne pose de problème. (C'est une confusion qui tient de la physique quantique.) Peut-être que dans les rêves, on n'a pas besoin de certitudes ou de démonstrations : l'esprit et son aptitude à l'impossible sont rois. Il n'y a plus de loi, les conventions sont abolies, elles s'effacent sous l'impulsion de la pensée.

     On saura sûrement me trouver des objections : et c'est vrai que ce que je dépeins ici n'est pas valable pour tous les rêves, ni pour tous les moments de l'enfance. Mais c'est une idée qui me semble avoir sa part de vérité, maintenant que je l'ai formulée (suis-je moi aussi en train de rêver, de démontrer les choses comme on les démontre en rêve ?), et dont je suis sûre qu'elle serait intéressante à étudier de plus près, cette idée que l'enfance tiendrait un peu du rêve. Ou bien le rêve de l'enfance ?


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