• Du vert et de l'amûr

     À destination d'un certain Bleujaune qui me demandait de parler de moi et d'amour : je te réponds ici, car j'avais dépassé la limite de caractères là où nous étions. Voici donc...

     Je suis follement amoureuse de la vie – de l'immensité de ses possibles – et de la beauté du monde. Il ne s'agit pas là d'une figure de style : elles me procurent toutes deux la même euphorie que lorsque je tombe amoureuse, au point de me donner envie de dire Je t'aime au ciel. (Chez moi, la sensation s'apparente au gonflement (de joie), ou à l'élan, parfois, aussi. C'est absolument irrésistible, je pourrais me droguer à ça.)

     Le seul qui puisse m'arracher à cet amour est un amant du nom de Morphée. Le capricieux me demande pas moins de 9h de tendresse par jour, et il est si jaloux que si je ne lui accorde pas assez d'attention, il vient m'enlever, peu importe ce que je fais et où je me trouve. (Un jour, je me suis endormie en marchant. J'ai failli renverser deux touristes et une statue, me prendre les pieds dans un tapis du XVIIème siècle et foncer dans un tableau du château de Versailles avant de réaliser ce qui m'arrivait et de me forcer à me réveiller à coup de claques et de bouteille d'eau vidée sur ma tête.) Cela dit, Morphée n'est pas tout-puissant, et preuve en sont mes infidélités chroniques : il m'arrive régulièrement de repousser ses avances pour goûter la nuit, ou bien pour répondre à un amoureux, un amant*, un charmant inconnu**...

     * L'amoureux est celui que j'aime, tandis que l'amant est celui que j'aime quand je l'aime – quand l'occasion nous est donnée de nous aimer, ou quand nos astres se croisent, peut-être. La différence entre les deux se trouve donc dans la fréquence ou la permanence des occasions, non dans la nature des sentiments.
    ** Cela te dit-il quelque chose ?

     

     Il faut dire que je ne résiste jamais au plaisir d'aller à la rencontre d'autrui – puisque après tout, je crois que c'est de cela dont il s'agit avant tout en amour : tendre vers le point où l'on accède à autrui et où autrui devient soi. À moins que ce ne soit soi qui devienne autrui... C'est amusant que ton pseudo soit Bleujaune, car il me fait justement penser à cette histoire pour enfants, que je tiens pour l'un des grands classiques de la littérature jeunesse : Petit-Bleu et Petit-Jaune (PDF en lien, si jamais tu ne connais pas). Lorsque Petit-Bleu et Petit-Jaune s'embrassent, ils cessent d'être, Petit-Bleu bleu et Petit-Jaune jaune, et ils deviennent tous les deux verts. C'est un peu ça, l'amour : si je t'aime, c'est que tu me bouleverses ; après toi, ni moi ni le monde ne serons plus jamais pareils.

     

     Je te retrouverai dans des détails insignifiants du quotidien et certains endroits de la beauté du monde. – Par coïncidence aussi, j'ai toujours fini par retrouver ceux que j'ai aimés dans des morceaux de la littérature (une œuvre, un auteur), de façon toujours spontanée, toujours unique. À moins que ce ne soient ces morceaux de la littérature que je ne retrouve en eux ? Et, comme un symbole supplémentaire de ton passage dans les paysages de mon âme, un jour je me réveillerai, et tu auras une épithète secrète, un nom parfois associé à la littérature dont tu fais désormais partie, que tu ne sauras peut-être jamais et que moi aussi je mettrai peut-être des mois à comprendre, comme un sens toujours plus riche de ta présence dans ma vie.

     Ainsi, tu t'inscriras dans ma mémoire poétique, mon panthéon littéraire, et mon épopée romanesque (car, c'est un caprice, j'aime vivre – et raconter par la suite – mes histoires d'amour de façon romanesque)... Mais aussi dans le sens que je donne au mot amour. C'est ainsi qu'au fil des ans, j'ai enrichi ma conception de l'amour des maîtres-mots suivants :

     Le jeu. Depuis mon premier amour (rencontré grâce à League of Legends : l'un de nous s'est moqué de l'autre, l'autre a répliqué, nous avons passé la nuit à jouter verbalement, et ne nous sommes pas quittés pendant deux ans), je crois que l'amour est bien plus une question de jeu que de regard : qu'on apprend à aimer l'autre en jouant avec lui, plus qu'en le regardant être. Par jeu, j'entends toutes sortes d'interaction, y compris et surtout l'interaction suprême entre toutes qu'est le flirt : l'action par laquelle je demande à autrui ce que nous pourrions devenir, tout en suspendant ma propre réponse et en laissant entièrement ouvert le champ des possibles. Et c'est parce que l'amour est jeu qu'il est si difficile à caractériser : il est sans cesse mouvant, et surtout il n'est jamais semblable d'une personne à l'autre.

     La complicité. Pendant les trois ans que je suis restée avec mon second amoureux, c'était par ce mot que je jurais, sans pourtant jamais réussir à le définir. J'y vois un peu de tendresse mais aussi beaucoup de rire, et peut-être surtout la création d'un monde où toi et moi nous entendons, et entendons les mêmes choses ; où nous avançons ensemble et mettons ensemble des significations semblables sur le monde. Mais la complicité n'a pas à être absolue, juste à surgir parfois, simplement... Pour le bonheur.

     La fidélité. Ce mot-là est plus difficile qu'il n'y paraît. La fidélité est au-delà des contrats, et surtout bien au-delà de l'exclusivité, qui peuvent au contraire nous rendre infidèles à nous-mêmes – à nous-mêmes ou à ceux envers lesquels nous nions nos sentiments. Un jour, je me suis retrouvée à aimer quelqu'un et en être aimée en retour, bien que cela soit strictement impossible pour nous de nous aimer (sous peine de tomber dans l'adultère) : nous avons donc joué à ce sale jeu qui consistait à faire semblant de ne pas s'aimer, et à faire semblant de ne pas savoir que nous nous aimions, bref à prétendre être l'un pour l'autre ce que nous n'étions pas, alors même que cela allait à l'encontre de nos convictions profondes (à savoir qu'il est possible d'aimer plusieurs personnes en même temps, profondément, et qu'il n'y a rien de mal à cela) ; tout cela pour des personnes qui n'étaient pas là pour assister à cette comédie de mauvais goût, et aux yeux desquelles nos sentiments, peu importe nos actes, nous rendaient forcément coupables. C'était d'une absurdité sans nom – plus jamais. Ma fidélité consiste à respecter les gens que j'aime, à être honnête avec, à prendre soin d'eux dans la mesure du possible – mais pas à être exclusive. Cette condition (la non-exclusivité), non-négociable, garantit que je serai toujours fidèle à moi-même, et donc honnête envers toutes les personnes que j'aimerai.

     La foi. Il est impossible, au fond, de savoir ce qu'autrui pense ou ressent, peu importe ce qu'il nous dit. C'est encore plus difficile lorsque l'autre est absent, ou lorsque nous ne pouvons nous permettre de cheminer régulièrement ensemble. Pourtant, cela ne nous empêche pas de nous aimer : c'est ce que j'appelle la foi, croire qu'on puisse aimer l'autre et parfois en être aimé en retour, croire qu'il soit possible de se livrer à lui, malgré tout ce que nous ne saurons jamais ; croire que tout cela a de la valeur et que cela change le monde, quand bien même nous n'en aurons jamais la preuve. Oser aimer, c'est comme se jeter les yeux fermés dans le vide – mais à la différence du saut dans le vide, nous ne saurons jamais avec certitude. Je trouve que la foi, cette grandeur suspendue au-dessus du vide et que rien ne soutient, donne une force et une beauté incroyables à l'amour.

     

     En fait, l'amour me passionne – dans tous les sens que cette déclaration peut avoir. Il me reste encore tant de ses territoires à explorer, tant de cartographie amoureuse à compléter, puisqu'on n'aime jamais deux personnes de la même façon et qu'il y a tellement d'autres sentiments qui vont avec, la bienveillance, la passion, l'estime, la tendresse, le désir, la connivence, l'accointance, l'émulation, l'éblouissement, que sais-je. Et il y a ceux qu'on aime d'amour, mais aussi ceux qu'on aime d'amitié, ou ceux qu'on aime d'autre chose encore – qui sait ? Le sujet est infini, qu'il s'agisse de le vivre ou d'en parler.

    « Champ de coquelicotsValse »

  • Commentaires

    1
    Mercredi 11 Novembre 2020 à 10:34

    Salut :)

    Tes articles sont si beaux, j'adore les lire !

    J'aime explorer les différents types d'amour, ressentir de l'amour est tellement agréable et puissant, je ressens aussi une forme d'élan, ça gonfle dans la poitrine et ç fait palpiter l'estomac, comme tu dis c'est addictif, on pourrait s'en droguer aisément.

    Souvent lorsque je parle de mes amis, les personnes à qui j'en parle pensent que je les aime d'amour amoureux, tellement je suis passionnée, tellement je les complimente et suis pleine de joie lorsque je parle d'eux.

    Il en est de même lorsque je vois, montre, parle, de la nature, du ciel (passion ciel aussi :) ), des animaux, de la Terre en général. J'ai l'impression de me décomposer complètement et de n'être qu'une boule d'amour, de tendresse, en pleine effervescence. C'est le genre d'amour passionnel, que je ressens aussi avec la Lune, où j'aime tellement que je n'ose plus bouger, plus rien dire, juste contempler, disparaître, je retiens souvent ma respiration. Un amour calme, où je boue à l'intérieur de moi.

    C'est intéressant que tu associes tes amours à des oeuvres littéraires, je trouve ça beau, comme si tu avais une bibliothèque de tes amours et que tu pouvais t'y replonger juste par la lecture d'un livre. J'adore.

    :)

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